Mort de Fethullah Gülen : qui était le célèbre prédicateur turc qui vient de décéder, allié puis bête noire de R. T. Erdogan ? (2024)

- Le prédicateur était vraiment un des hommes les plus recherchés par la Turquie?

- "Oui, puisque la Turquie offrait 20millionsde livres, c’est-à-dire environ 585.000dollars pour toute aide à sa capture. Toutefois, sa localisation était parfaitement connue. Il vivait depuis 25 ans dans un complexe aux Etats Unis, en Pennsylvanie. Il était reclus mais entouré de ses plus proches disciples. La Turquie réclamait son extradition, l’accusant d’être le cerveau du coup d’Etat manqué du 15juillet 2016 qui a tué 252 personnes, sans compter les putschistes".

- Fethullah Gülen est connu de tous en Turquie. Mais beaucoup moins à l’étranger. Qui était-il, au juste?

- "Ça dépend à qui vous demandez. Parmi les fidèles de l’octogénaire – certains depuis les années1960 -, l’homme était beaucoup plus qu’un prédicateur influent dans sa communauté de l’imam, nombreux sont les disciples qui le vénéraient comme un envoyé d’Allah auquel le prophète Mohammed s’adressait en rêve. Il était un guide à la parole incontestable. Mais pour le grand public, pendant des décennies, les Gülénistes (partisan de Gülen, ndlr) ont surtout été connus pour leurs établissements scolaires réputés, c’est-à-dire des milliers de lycées, d’universités, de centres de cours particuliers qui étaient créés par des fidèles du prédicateur en Turquie et dans le monde. Ils avaient leurs médias, leurs entreprises, leurs ONG, leurs hôpitaux aussi. Ils étaient en quelque sorte la face visible (jusqu’à leur interdiction en Turquie), d’un réseau tentaculaire, une vitrine officielle qui prêchait un islam moderne, modéré, apolitique, tourné vers l’Occident, la science. Champion du dialogue interreligieux aussi, mais qui cachait une nébuleuse opaque en quête d’influence et de pouvoir économique et politique, que le gouvernement et la justice turque accusent d’avoir bâti un "Etat parallèle"".

- Des accusations que le principal intéressé, Fethullah Gülen, a toujours démenti?

- "Oui. Gülen a nié jusqu’au bout toute implication dans ce putsch de juillet2016, en dépit de preuves accablantes quant à la participation de certains de ses proches, du moins dans la tentative. L’événement en lui-même conserve beaucoup de zones d’ombre, mais l’entrisme pratiqué pendant de longues années par les Gülénistes au sein de l’appareil d’État, de l’armée à la magistrature en passant par la police ou l’éducation, ne fait plus guère de doute. Après la tentative de putsch, plus de 125.000 fonctionnaires ont été limogés pour ce motif, même si une partie d’entre eux n’avait à l’évidence aucun lien avec les réseaux de cet imam".

- Les opposants de Recep Tayyip Erdogan rappellent que l’actuel président au pouvoir depuis2003 a longtemps soutenu Fethullah Gülen. Est-ce qu’on peut parler d’anciens alliés devenus ennemis?

- "Absolument. Pendant ces dix premières années de mandat, le président Erdogan a en effet profité des réseaux de Fethullah Gülen dans l’appareil d’État pour mettre hors d’état de nuire la vieille garde militaire à coups de procès ficelés par des policiers et pilotés par des magistrats inféodés à cet imam. Les fidèles de Gülen, eux, ont bénéficié d’une décennie "de tranquillité" pour pénétrer tous les étages de la fonction publique turque. Et en raison de cette alliance passée, la question de la responsabilité politique du coup d’Etat manqué reste aujourd’hui encore un tabou pour le président Erdogan".

- Ces 25 dernières années, Fethullah Gülen vivait donc aux Etats-Unis, mais la Turquie réclamait son extradition…

- "Tout à fait, mais les autorités américaines n’ont jamais sérieusement envisagé l’extradition. Elles évoquaient invariablement une absence de preuves. Elles n’ont pas davantage d’ailleurs accédé aux demandes d’arrestation émises par la Turquie contre des figures proches du prédicateur. Le décès de Gülen n’est donc pas près de faire taire ceux qui, jusqu’au sommet de l’Etat turc ici, soupçonnent les Etats-Unis d’avoir soutenu le putsch sanglant et aussi protéger son commanditaire présumé…"